Le tourisme professionnel bouleversé par l’économie collaborative

Le Monde

Le secteur du voyage d’affaires représente près de la moitié de l’activité hôtelière. Mais la crise et l’ubérisation bouleversent les pratiques

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lundi 25 septembre 2017, par administrateur

Le Monde

La reprise paraît bien là. Alors que la fréquentation touristique en France devrait atteindre un record en 2017, le marché du voyage d’affaires semble aussi reprendre du poil de la bête. Selon l’Insee, près de la moitié des nuitées hôtelières sont le fait des voyageurs d’affaires. « On note un certain redémarrage », indique Claude Lelièvre, le vice-président de l’Association française du travel management (AFTM). Une nouvelle qui réjouit les acteurs du tourisme. Entre le transport, l’hôtel et les restaurants, un voyageur d’affaires dépense entre 2,5 et 5 fois plus qu’un touriste de loisirs, estiment les acteurs de la filière. De quoi inciter les professionnels et les territoires à se mobiliser pour attirer cette clientèle prodigue.

Mais le voyageur d’affaires version 2017 n’a plus grand-chose à voir avec son homologue d’il y a trente ans. Internet et la crise économique sont passés par là. « Il y a une segmentation de moins en moins nette du tourisme d’affaires, note Claude Lelièvre. Les entreprises n’hésitent plus à jongler sur toute la gamme de tarifs afin de réduire les frais. Au lieu d’acheter des billets flexibles, elles se reportent sur les non-échangeables, par exemple ».

Gain de temps et maîtrise des coûts

Faisant conjuguer gain de temps et maîtrise des coûts, la révolution numérique a bouleversé les usages. « Les entreprises ont désormais recours aux “webinars” [séminaires en ligne] pour éviter les frais de déplacement », souligne de son côté Jérôme Bonnepart, « travel manager » chez Arkema et délégué aux régions au sein de l’AFTM.

Fini les séjours organisés de A à Z par l’agence de voyages. Désormais, le professionnel en déplacement est de plus en plus amené à gérer ses réservations en direct sur son smartphone. Les applications dédiées sont devenues incontournables : « On peut réserver son taxi avec Waze, gérer ses notes de frais avec les outils TGV Pro… énumère Jérôme Bonnepart. Désormais, 80 % des réservations se font directement en ligne. »

Ce changement de paradigme ne s’est pas fait sans heurts ; les prestataires traditionnels ont dû s’adapter. Menacées par ce phénomène de désintermédiation, les agences de voyage ont dû redéfinir leur rôle : prenant bon an mal an le tournant du numérique, elles ont intégré les outils digitaux dans leurs offres de services.

Le bonheur d’autres acteurs

Mais cette nouvelle donne fait le bonheur d’autres acteurs. Les poids lourds de l’économie collaborative ont bien compris qu’il y avait-là une occasion à ne pas laisser passer. En lançant des offres à destination des voyageurs professionnels, les compagnies aériennes à bas coûts avaient ouvert le bal il y a quelques années. Suivant leurs traces, Uber, AirBnB et consorts se sont mis à leur tour à développer des offres en direction de la clientèle professionnelle.

Et la sauce commence à prendre, doucement. « On sent sur le marché une évolution due à l’émergence de certains acteurs de l’économie collaborative », note le vice-président de l’AFTM. Une croissance soutenue par l’arrivée sur le marché du travail de la génération des « millennials », ces 18-35 ans accros à leurs portables et à l’économie du partage. Ainsi, les jeunes actifs sont deux fois plus nombreux que leurs aînés à utiliser les services d’Uber et d’AirBnB lors de leurs déplacements professionnels, révélait en 2015 une étude de Carlson Wagonlit Travel (CWT) sur le sujet.

Au départ sceptiques, les opérateurs traditionnels du transport et de l’hôtellerie prennent la mesure du phénomène. Tous ont en tête le précédent de l’aérien : il y a quelques années, personne n’aurait cru que les compagnies low cost finiraient par séduire la clientèle d’affaires : trop « cheap », offre pas adaptée…. Pourtant, le pli est pris : la plupart des systèmes de réservation utilisés par les agences de voyage et les entreprises pour gérer les déplacements des salariés proposent désormais les compagnies aériennes à bas coûts. « Nous avons intégré des low cost dans notre offre », confirme Michel Dinh, directeur général de Havas Voyages.

La question de la sûreté

Quelle stratégie adopter face aux plates-formes collaboratives ? Les opérateurs traditionnels tentent d’adapter leurs recettes : grâce aux outils numériques, ils cherchent à faire des économies d’échelle, tout en développant des offres adaptées aux besoins des voyageurs d’affaires.

La partie n’est pas jouée. En face, Uber et consorts doivent encore faire leurs preuves avant d’arriver à séduire un public plus large. « L’économie collaborative est très séduisante sur le papier, mais pose des problèmes de traçabilité », souligne Jérôme Bonnepart. Un point d’autant plus crucial qu’en cette époque troublée, la sécurité est devenue la première préoccupation des voyageurs et des travel managers, selon le baromètre voyage d’affaires 2016 réalisé par la branche voyage d’affaires du groupe American Express. Au demeurant, les entreprises sont responsables légalement de la sécurité de leurs salariés. « La question de la sûreté, qui devient cruciale, se traduit parfois dans les entreprises par des “politiques voyages” interdisant certains moyens de transport et d’hébergement », souligne le travel manager chez Arkema.


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